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mardi 3 novembre 2020


Sénéchal III (Roman) Médiéval Fantastique

AUTEUR : Grégory De Rosa (France) - EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 656, 3/2020 — 443 p., 8.50 € - COUVERTURE : Aurélien Police/Précédente publication : Mnémos, 10/2018 — 320 p., 19.50 € — Couverture de Emile Denis

→ Moïra Rien de mieux pour humaniser un héros et le rendre crédible auprès de son lecteur que de le mettre d'abord dans de fors mauvais draps. Rappelez-vous de Clint Eastwood, dans les bon vieux westerns spaghettis, ils commençaient toujours  par se prendre une bonne raclé (souvent donnée par une brute à la Lee Van Cleef) avant de pouvoir jouer au redresseur de tors revanchard. Grégory Da Rosa a brillamment joué de ce concept en envoyant ce cher Sénéchal, Philippe Gardeval, au fon d'une geôle renversées de Lysimaque où, accusé d'avoir trahi la couronne,  il ronge son frein tout en recevant la sainte visite du Pontife Boniface du syncriarcat de Méronne en recherche d'une confession qu'il ne recevra pas. Dehors le séraphin Démosthène assiège toujours la cité avec l'empereur Lysander de Castlewing et les courtisans, et le perfide baron Othon De Ligias en premier, au lieu de s'inquiéter du fait que le plus gros des défenseurs ait été envoyé à l'extérieur des murs, alors qu'ils devraient plutôt garder des remparts assaillis de toutes parts, se réjouissent de la disgrâce du Sénéchal qui  semble bien avoir définitivement perdu l'amitié du roi Edouard. Cependant, le procès qui devait décider de son sort ne se déroule pas comme prévu, car le Sénéchal honni n'est pas le seul accusé. Adoptant le biais de la narration à la première personne dans le style Jaworski de Gagner la guerre, Gregory De la Rosa continue de tisser son entrelacs d'intrigues, ramassis d'ambitions, de complots et de trahisons entre lesquelles Philipe Gardeval louvoie comme une loups de haute mer imbu de son talent et peu enclin à épargner des adversaires juste dignes de son mépris. Son but : regagner l''estime du monarque de Lysimaque et démasque les véritables traîtres. Une tache de longue haleine qui fera la part belle à une violence digne de l'autre source d'inspiration avouée de l'auteur, la série Game of Thrones, avec, en particulier, un épisode final digne des fameuses Noces de sang (les puristes s'y retrouveront). En vérité, plus que l'action proprement dite, pourtant conduite à un rythme effréné, ce sont les passions qui servent de moteur au récit. Contrariées, imprévisibles, violentes, voire démesurées et même désespérées, elles colorent de sang et de larmes cette fin de trilogie baignée dans une ambiance tragique chère aux meilleures réussites du médiéval-fantastiques à  la française. Toutefois, elles se partagent la vedette avec le Sénéchal lui-même, anti-héros par excellence dont les ambiguïtés rejaillissent tout au fil des pages et qui est bien loin de tout nous révéler sur son trouble passé hanté par le fantôme de la Pénélope tant aimée. Un personnage qui, au fil de ses mensonges, de ses meurtres et autres perfides machinations parvient à devenir détestable, ce qui est somme toute une autre manière de ne pas laisser le lecteur indifférent. C'est ainsi que ce dernier devra apprendre à ne pas se fier au contenu du journal intime tenu par Philippe Gardeval relatant avec minutie le siège de Lysimaque par les Castellois. Toutefois, bien des pages de cette ultime fresque lui seront profitables pour la compréhension de l'ensemble de l'œuvre car, entre autres révélations, on apprendra les véritables raisons de la Sainte Croisade menée par les Castellois contre le royaume de Méronne, on en saura un peu plus sur la véritable nature de l'ange Lysimaque ainsi que sur la mort de Pénélope et on découvrira comment le Sénéchal s'y prendra pour attirer à lui un peuple en révolte contre la couronne pour qui il fera office de sauveur. On le voit, ce dense roman n'est pas avare en surprise, comme celle de découvrir un personnage appelée Franck Herbert, comme le créateur de Dune ou des anneaux de pouvoir clin d'œil à une autre trilogie estampillée J.R.R. Tolkien. De quoi ne pas regretter cette ultime plongée au cœur de l'esprit torturé du Sénéchal Philippe Gardeval, maître marionnettiste au sein d'un univers de cité assiégé qui conjugue le funeste avec le lyrisme, tout en dévoilant les pans d'un imaginaire d'une prégnante originalité. Une nouvelle réussite de cet auteur montpelliérain passionné de romans historiques et d'histoires médiévales.

Autre couverture


 ♦ Thecel ♦ (Roman) Mondes Parallèles

AUTEUR : Léo HENRY (France)/EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 655, 11/2020 — 289 p., 8.49 €*COUVERTURE : Aurélien Police
→ Moïra est une jeune princesse élevée dans le strict enseignement du couvent des Mères en tant qu'héritière de l'Empire des Sicles que son père dirige d'une main de fer. Peu consciente de ce lourd fardeau qu'elle partage lors des trop rares visites de son frère Aslander auquel elle est étroitement unie, elle devient experte au tir à l'arc tout en s'accoutumant à  la présence d'un dragonnet qui égaye son morne quotidien. Mais le grand Empire établi par les Oeucumaîtres cinq siècles plus tôt est à l'aube de profonds bouleversements que vont accélérer le décès du père de la jeune fille. Or, Aslander, son seul héritier mâle n'est jamais revenu du dernier voyage qu'il a entrepris et voilà Moira désignée pour diriger l'Empire à sa place après un mariage qu'elle n'a jamais désirée. De quoi entraîner sa fuite à travers un monde dont elle découvre peu à peu l'extraordinaire diversité fort éloignée du labyrinthique Palais Impérial dont, avec son frère, elle partageait tous les secrets. Lancée sur les traces d'Aslander et de sa belle amante Donnel de Talsa, elle vivra toutes sortes d'aventures qui l'entraîneront dans les pas des énigmatiques Face Pâles, auprès du souriant Albin et des Déscompteurs, qui l'amèneront à murmurer à l'oreille des dragons pour pouvoir les chevaucher, tout en étant confrontée aux sournois agissements des deux autres factions de pouvoir de l'Empire Sicle,  l’Oecumaîtrise et ses sages, le Temple et ses sœurs combattantes. Toutefois, au fil de ses pérégrinations, et tandis que les rumeurs de guerre se fond de plus en plus pressantes, elle ne tardera pas à être spectatrice du Retournement, pièce maîtresse du jeu entre l'Empire des Sicles et Abacule, archipel infini d'incertitude et de contradictions, Passant sans le vouloir d'un monde à l'autre elle s'intègrera dans un trame d'événements qui ne sont pas sans rappeler des background à la Dark City ou à la Inception, transformant la réalité en un continuum brumeux où s'égarent les lignes d'intrigues de personnages devenus esclaves de leur destinée, comme cette jeune princesse qui, après avoir donné un nom au premier dragon à avoir éclos en Thecel, et après avoir partagé la geste de l'orphelin Face Pâle devenu son ami, s'est lancée sur les traces du souvenir de son frère, circulant d'un monde à  l'autre tout en se dépouillant d'une partie d'elle-même pour arriver enfin à s'appréhender dans toute la complexité de son être. Un court roman intimiste porté par l'écriture ciselé de Léo Henry qui s'inscrit plus directement dans la lignée d'une fantasy à la Gormenghast de Mervyn Peake que dans une celle d'une sword and sorcery débridée, mais qu'on peut lire en retenant son souffle tandis que ses pages se déroulent comme une buée d'imaginaire s'échappant lentement des coulées de mots humidifiant le papier d'un éloge à la différence, d'un goût prononcé pour les rêveries des cartographes et un certain penchant pour l'anarchisme, tout en nous laissant glisser sous les draps d'un monde volontairement non architecturé, mais plutôt savamment murmuré, comme le souffle de Moira dans l'oreille du dragon.